Le nouveau « plan loup » rejeté par les organisations environnementales et critiqué par les éleveurs

Le Monde (site web)

planete, lundi 18 septembre 2023 – 19:31 UTC +0200 1052 mots

Perrine Mouterde Six associations ont quitté le Groupe national loup après la présentation du projet. Les éleveurs appellent eux aussi le gouvernement à revoir sa copie.

Elles se retirent du Groupe national loup. Dans la foulée de la présentation du nouveau plan national d’actions aux acteurs du dossier, lundi 18 septembre, six associations de protection de la nature ont annoncé leur départ conjoint et « définitif » de cette instance consultative. Un geste inédit, à la hauteur de leur déception.

« C’est intolérable, affirme Denis Doublet, vice-président de l’association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs Ferus. Politique de gestion de la population lupine et non de la conservation de l’espèce, renforcement des tirs dérogatoires, plaidoyer pour le pastoralisme et communication négative sur le loup… L’Etat réduit à néant tout le travail réalisé depuis de nombreuses années en produisant un plan bâclé et sans évaluation. »

Depuis le retour naturel du prédateur en France il y a trente ans, les « plans loup » successifs ont tenté de maintenir un équilibre précaire entre protection de l’espèce et préservation des activités humaines. La cinquième édition (2024-2029) ne satisfait aucune des parties : si les organisations environnementales ont claqué la porte des discussions, les représentants des éleveurs appellent le gouvernement « à retravailler de fond en comble sa copie » et dénoncent un projet qui « entérine le statu quo et la détresse des éleveurs ».

Avec ce nouveau texte, l’exécutif donne pourtant des gages aux organisations agricoles. Au-delà du nécessaire équilibre, il a clairement affiché sa volonté d’opérer « le sauvetage » du pastoralisme et de l’élevage, « menacés par une prédation de plus en plus importante ». « Nous sommes face à une population lupine exponentielle dans sa croissance, a ainsi répété le 12 septembre le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau. On doit pouvoir se féliciter d’avoir sauvé l’espèce en termes de biodiversité. Mais il y a un moment où le seuil est tellement haut que ça n’est plus compatible avec les activités d’élevage. »

Nombre d’attaques stabilisé

Depuis 2018, date à laquelle a été adopté le dernier « plan loup », la population a doublé, pour atteindre 1 104 individus. Des animaux ont été repérés dans une cinquantaine de départements, même si l’immense majorité des meutes reste installée dans l’arc alpin. En parallèle, le nombre d’attaques et de victimes s’est globalement stabilisé grâce aux efforts de protection des troupeaux (12 500 bêtes ont été attaquées en 2022). Et si les éleveurs et les autorités alertent face à un risque supposé de « disparition de l’élevage », les effectifs du cheptel ovin ne régressent pas dans les zones de présence historique du prédateur, mais progressent au contraire dans le Sud-Est.

Les éleveurs pointent toutefois une pression de prédation trop élevée et réclament de pouvoir tuer davantage de loups. Le projet de texte, qui va être mis en consultation avant une adoption en fin d’année, répond en partie à leurs attentes, en prévoyant une simplification de la procédure : dès la première attaque, deux personnes, voire trois – et non plus une seule –, auront le droit de tuer un animal en situation d’attaque. Eleveurs et chasseurs pourront être équipés de caméras thermiques et les louvetiers (des bénévoles assermentés) pourront être déployés plus rapidement. « La hausse de la population justifie qu’on lâche un peu de lest sur la procédure et qu’on soit plus efficace sur les tirs », explique-t-on au secrétariat d’Etat à la biodiversité.

Pour les représentants des éleveurs, ces avancées sont toutefois insuffisantes. « On attendait un vrai changement et ce sont des aménagements à la marge, estime Bernard Mogenet, responsable loups pour la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). On ne sort pas du carcan administratif qui pèse sur les éleveurs. » « La procédure évolue, le tir de défense simple ressemble désormais étrangement à un tir de défense renforcé [qui n’est autorisé qu’après plusieurs attaques], nuance toutefois Claude Font, responsable loups de la Fédération nationale ovine. Mais ça manque d’ambition et il faudra voir comment cela va fonctionner sur le terrain. »

De leur côté, les associations de protection de la nature estiment que cette simplification est contraire au principe de progressivité de la réponse aux attaques et envisagent de déposer un recours au niveau européen. Elles redoutent que cette évolution entraîne une augmentation des abattages. A ce jour, le nombre de loups pouvant être tués est plafonné à 19 % de la population estimée, soit 209 individus pour 2023. « Autoriser la présence de deux tireurs accroît la possibilité que des loups soient tués dans des situations où il y a peu de dommages, estime Jean-David Abel, en charge du dossier loups à France nature environnement. Et l’Etat ne contrôlera plus rien. Si à la fin août le plafond est atteint, il sera forcé de le relever. »

« Gestion de type cynégétique » des populations de loups

Réponse plus rapide dans les nouvelles zones de présence du loup, meilleure indemnisation des pertes indirectes, renforcement de l’accompagnement psychologique des éleveurs… Outre les mesures visant à prévenir et gérer les attaques, l’un des quatre axes du plan vise à quantifier les « apports » de l’élevage et du pastoralisme à la société, à la biodiversité et aux milieux ruraux.

L’Etat confirme également, dans ce projet de plan que Le Monde a pu consulter, qu’il pourrait porter, dès 2025, la demande d’une évolution du statut de protection au niveau international et européen, en fonction du résultat de travaux sur l’état de conservation de l’espèce. Une baisse du niveau de protection « autoriserait une gestion de type cynégétique », indique l’Etat, qui va lancer une étude pour mieux définir les conséquences d’un éventuel déclassement.

« L’Etat affirme déjà que son objectif est le déclassement du loup, avant même de savoir si cela peut être utile », déplore Jean-David Abel. « Cet objectif de déclassement est une bonne chose, juge de son côté Bernard Mogenet, mais pourquoi attendre 2025 ? »

Parmi les autres nouveautés, le gouvernement prévoit de réformer les modalités de comptage pour que ne soit publiée, chaque année, qu’une seule estimation consolidée du nombre de loups en France. L’Office français de la biodiversité aura un an pour proposer une révision de sa méthode. Cet article est paru dans Le Monde (site web)


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