economie, mardi 1 octobre 2024 – 14:30 UTC +0200 860 mots
Bastien Bonnefous La Commission nationale du débat public a présenté, lundi 30 septembre, ses conclusions. Derrière le projet local porté par Imerys, c’est toute la stratégie minière de la France qui est interrogée.
S’il voit le jour, ce projet sera l’un des plus importants chantiers miniers en France métropolitaine depuis plus de cinquante ans. La Commission nationale du débat public (CNDP) a présenté, lundi 30 septembre, la synthèse de ses travaux concernant le projet de mine de lithium dans l’Allier, porté par le groupe Imerys. Dénommé Emili (pour « exploitation du mica lithinifère ») et d’un montant estimé à un milliard d’euros d’investissement pour l’industriel français, ce programme a fait l’objet d’un débat public durant cinq mois qui s’est terminé fin juillet, marqué par une forte participation citoyenne – plus de 3 000 participants aux douze réunions publiques – mais aussi par des tensions de la part de ses opposants.
Dans le détail, Emili se découpe en trois entités : le site d’extraction et de transformation du lithium à Echassières, dans une mine souterraine où Imerys exploite déjà du kaolin depuis 2005 ; le site de stockage, dans la commune de Saint-Bonnet-de-Rochefort, distante d’une quinzaine de kilomètres ; et l’usine de conversion pour le raffinage, à Montluçon, à 49 kilomètres. Le transport du minerai d’un site à l’autre se ferait par voie souterraine ou par train.
Imerys promet, à terme, entre 500 et 600 emplois directs, et un millier d’emplois indirects, dans un département en souffrance démographique et économique. L’entreprise prévoit de produire, à partir de 2028, 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an, qui permettraient d’équiper 700 000 batteries de véhicules électriques. La mine bourbonnaise serait alors un maillon important de la politique française visant à bâtir une filière nationale de minerais et métaux stratégiques, afin d’être moins dépendant aux importations, notamment en provenance de Chine.
Divergences d’opinions
Le débat public a fait remonter les inquiétudes locales liées aux risques environnementaux (gestion des déchets, usage de l’eau, risque de pollution des sous-sols, impact sur la biodiversité) et socio-économiques (retombées réelles en termes d’emplois, aménagement du territoire, partage de la rente minière pour les communes retenues).
Mais au-delà du cas d’Emili, les échanges ont surtout mis en lumière les divergences d’opinions au sein de la population concernant la transition écologique et énergétique dans sa globalité. « Pour une partie du public, l’urgence d’une transition justifie de faire évoluer notre consommation vers des mobilités plus soutenables, et la production d’un lithium français est alors perçue comme une opportunité industrielle pour décarboner les transports », écrit la CNDP dans son rapport.
Face à ces partisans, « d’autres prônent une vision plus radicale des enjeux écologiques, considérant que ce type de projet est un pis-aller » et défendent « une bifurcation écologique alliant sobriété énergétique et préservation de la biodiversité ». Une opposition qui s’est exprimée encore lundi soir, lors de la réunion organisée par la CNDP à Moulins, quand une vingtaine d’opposants a pris la parole pour dire : « Cette mine nous n’en voulons pas, ni ici ni ailleurs. »
Pour la commission, ces tensions sont aggravées par l’absence de stratégie connue de l’Etat, alors que le gouvernement ne cesse de repousser la publication de sa stratégie nationale bas carbone comme de la programmation pluriannuelle de l’énergie. « Sans ces éléments, il est difficile pour la population de comprendre la politique française en matière de transition énergétique et de planification écologique dans laquelle s’inscrivent les questions minières », estime Mathias Bourrissoux, président du débat public sur le programme Emili.
Dérogations administratives
Le gouvernement, qui a simplifié le code minier, soutient sans ambiguïté le projet dans l’Allier, qu’il a reconnu d’« intérêt national majeur » dans un décret publié au Journal officiel le dimanche 7 juillet, quelques heures avant le second tour des élections législatives, sans même attendre la fin du débat public.
Ce statut, créé par la loi industrie verte d’octobre 2023, permet de bénéficier de dérogations administratives et de mesures d’accélération. Un cadre d’exception dénoncé par deux associations locales, Stop Mines 03 et Préservons la forêt des Colettes, qui ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour faire annuler le décret officiel.
Dans ses recommandations non contraignantes, la CNDP relaie une « exigence forte » des citoyens, celle d’un « contrôle intransigeant de l’État » sur le projet d’Imerys. La commission juge également « incertains » les impacts hydrauliques et hydrogéologiques présentés, « faute d’études finalisées » par l’industriel. « La transparence est une clé des suites du projet, notamment dans la mise à disposition des données précises sur les impacts », précise Marc Papinutti, président de la CNDP.
En principe, Imerys dispose de trois mois pour répondre aux remarques de la commission. En attendant, son plan de charge est déjà prêt : un pilote industriel de la mine devrait être mis en service dès 2025 à Echassières, et la décision finale d’investissement est attendue en 2027, en fonction des premiers résultats.